LES WISIGOTHS ET LE CATHARISME [par Robert Dun]
16/06/2020
La région pyrénéenne a été le théâtre d'un mélange entre Ibéro-Ligures, Celtes, Romains, Basques, Wisigoths et Arabes. Cela fait la part belle à tous ceux qui veulent attribuer des influences culturelles à l'ethnie de leur préférence.
C'est ainsi qu'en se basant sur l'allusion à « l'écriture païenne enchevêtrée », dans le Parsifal de Wolfram von Eschenbach, d'aucuns n'ont pas hésité à faire du Graal un héritage purement arabe. Or l'écriture arabe consiste essentiellement en lignes courbes, régulierement ordonnées. La seule écriture anguleuse, donnant une impression d'enchevêtrement, et de surcroît d'ordonnance variable, est l'écriture runique. Il est donc probable que Wolfram von Eschenbach fait allusion à un texte Wisigothique.
L'abus de sens contraire n'a pas manqué. Wagner a fait de Montségur le modèle de son Montsalvat. Les fondateurs des Wandervögel ont pris la même ornière et ont fait de Montségur leur Mecque vers laquelle devait pérégriner tout Wandervögel au moins une fois dans sa vie. Puis sont venues les recherches de Rosenberg et les livres d'Otto Rahn, qui ont parachevé la confusion entre culture wisigothique et catharisme.
Si je m'efforce, ici, de mettre fin à ce salmigondis, ce n'est pas par simple souci de vérité historique, mais parce que je connais l'insidieuse puissance des doctrines du désert qui, à peine chassées par la porte, rentrent à nouveau par la fenêtre.
Or, il est urgent de bien savoir qui est qui : hommes de la forêt et de la mer ne peuvent se compromettre avec aucun courant du désert, si ésotérique soit-il. Quand on confronte l'esprit wisigothique et l'esprit cathare d'une part et que l'on considère d'autre part le soutien indéniable que la noblesse wisigothique a apporté aux cathares, on ne peut manquer de rester perplexe. On semble ne plus rien comprendre du tout… Mais tout s'éclaire si l'on prend en compte l'inexpiable contentieux qui a opposé les Wisigoths à Rome.
Examinons l'histoire du peuple wisigothique ( avec des bottes de sept lieues, mais comment faire autrement dans le cadre d'un article aussi bref que celui-ci ).
Aux débuts de l'ère chrétienne, une migration de Goths quitte le Gothland suédois ; lieu classique d'essaimage qui lui valut les noms de matrice des peuples ou de forge des peuples. Ces premiers migrants s'installent de l'Ukraine à la Volga et à la Mer Caspienne et semblent s'être mêlés sans problèmes aux Scythes. Ils forment un royaume vassal de l'Empire perse, d'où premier motif d'hostilité avec Rome. En 374, les Huns franchissent la Volga sous la direction de Balamir, grand-père d'Attila. La cavalerie mongole s'enfonce comme un coin dans le royaume des Goths et le coupe en deux : les Ostrogoths ( Goths de l'Est ) sont contraints de marcher avec les Mongols. Les Wisigoths ( Goths de l'Ouest ) tentent, eux, de résister. Le Roi Ermenrich, âgé de cent-dix ans, vient d'être blessé de trois coups de poignard par un agent secret romain car Rome n'a rien de plus pressé à faire que de détruire la barrière protectrice entre son Empire et les Mongols ( Ô histoire ! Quand cesseras-tu de te repéter ? ). Ermenrich monte quand même à cheval et tombe vainement à la tête de son armée. C'est alors qu'un esclave grec chrétien propose un marché aux Wisigoths. Ils n'ont qu'à se convertir au christianisme et ils pourront ainsi demander asile à l'Empire romain, mettant ainsi la barrière du Danube entre les cavaliers mongols et eux. Ulfilas, car c'est de lui qu'il s'agit, part négocier avec l'empereur de Byzance, Valens. Ce dernier finit par accepter à condition que les Wisigoths se fassent baptiser selon le rite d'Arius. Ceux-ci acceptent sans comprendre : le Danube comme protection vaut bien une messe et même un baptême.
Les officiers romains laissent passer d'abord les femmes et les enfants, puis les hommes. Mais ceux-ci ne retrouvent pas leurs familles. On les a évacuées vers l'intérieur… Pourtant, l'horrible vérité éclate bientôt : les officiers de la frontière ont vendu environ un million et demi de femmes et d'enfants comme esclaves. Alors, c'est la révolte. Les Goths s'emparent de toute la Grèce et en 378 brûlent l'empereur Valens dans une hutte de roseaux. Très vite, ils se rendent maîtres de la Dalmatie, puis de toute l'Italie du Nord. Ils pilleront Rome mais ne s'y attarderont pas : « Plutôt mourir que vivre dans une pareille prison. », diront certains d”entre eux.
Les Mongols ont progressé le long du Danube. Ils se sont annexés, après les Ostrogoths, trois autres tribus germaniques : les Alains, les Gépides et les Marcomans. Attila a pris les rênes. Parlant parfaitement le grec et assez bien le latin, il a le titre et la solde de général romain et fait peser une menace permanente sur l'Empire qui lui paye de lourds tributs. Les Wisigoths sentent la menace s'aggraver et savent qu'ils ne peuvent accorder la moindre confiance aux Romains. Ils émigrent alors en masse dans le Sud de la Gaule. Toponymes et patronymes témoignent encore de l'importance de leur colonisation : Toulon, Toulouse, Saint-Aygulf, Le Thor ( près d'Avignon ), Valrus ( près de Béziers ), Ensérune, La Vérune (trois localités au moins de ce nom qui signifie « Waiha Runa », rune sacrée). Les patronymes débutant par Ber, Amel, Amal, Amb sont en grande majorité wisigothiques. Près de Carcassonne se trouve la montagne d'Alaric où une légende aussi tenace que gratuite situe la cachette où serait enfoui le chandelier à sept branches du temple de Salomon, pris par les troupes de Titus. Un bas-relief romain illustre cette prise du chandelier mais il est beaucoup moins certain que les Wisigoths l'aient emporté en Gaule après avoir pillé Rome.
La noblesse wisigothique témoignera d'un haut niveau culturel. C'est le gendre de l'évêque-écrivain Sidoine Apollinaire qui sera précepteur des enfants royaux à la Cour de Théodoric de Toulouse. Ce précepteur gallo-romain sera par la suite le porte-parole du général romain Aetius et convaincra les Wisigoths de se lancer dans la bataille contre Attila qui envahissait la Gaule. Les Wisigoths libéreront seuls Orléans assiégée et à Châlons-sur-Marne, ils porteront le principal du poids de la bataille. Parmi la centaine de milliers de morts qu'ils laissent sur le terrain, il y a leur roi, Théodoric.
Pour faire contrepoids à la puissance wisigothique qu'il redoute, Aetius laisse filer Attila encerclé sans espoir et qui a déjà organisé son suicide rituel par le feu. Cette politique de balance vaudra à l'Italie et à l'Allemagne du Sud environ quatre cent cinquante ans de pillages aussi réguliers que la succession des saisons de la part des Hongrois installés à demeure sur le Danube où ils se trouvent encore. Seules les victoires d'Henri l'Oiseleur et de Otton mettront fin à ces terribles incursions qui ont implanté le mythe de l'Ogre ( l'Hongre ) dans l'inconscient collectif d'Europe occidentale.
Après Châlons-sur-Marne, Rome crée la puissance franque par le mariage de Clovis et de Clotilde, héritière du royaume des Burgondes, et en faisant sentir que le réseau clérical catholique est le Dieu des batailles. Clovis en fera l'expérience lors de son affrontement avec les Alamans. Assez déculturé et par là assez souple, Clovis bénéficiera des mêmes avantages à Vouillé contre les Wisigoths qui passeront par la suite massivement en Espagne. Là, ils subiront la submersion musulmane. Trois cents nobles Wisigoths défileront la chaîne au cou dans Bagdad lors du triomphe de Mousa. Pourtant, ils continueront à former la souche de la noblesse espagnole et le plus célèbre héros de la Reconquista est Wisigoth par son nom : Rodrigue ( = Ruderich ), bien que son surnom soit musulman ( le Cid, déformation de « caïd » ).
Dans cet immense périple qui les a conduits du Gothland à l'Espagne en passant par les plaines russes, la Grèce, la Dalmatie, l'Italie du Nord, la Provence et l'Aquitaine, les Wisigoths ont laissé partout des colonies et leur sang coule encore abondamment dans les veines russes et ukrainiennes, grecques, croates, styriennes, tyroliennes, lombardes, provençales, languedociennes, catalanes et castillanes. Catalogne dérive de « Gothaland » et Toledo, Tolosa sont des noms wisigothiques.
Peuple considéré comme noble par les autres tribus germaniques ( à l'égal des Vandales ), noblesse d'ailleurs exprimée dans le nom Goth, qui contient les concepts de divinité, de valeur et de prêtrise, les Wisigoths n'ont pas failli à leur sang. Les villes qui portent leur griffe se distingueront bientôt par un haut niveau de culture, une civilisation paisible et la floraison des arts. Aix-en-Provence et Toulouse deviendront les hauts-lieux des Cours d'Amour et des troubadours. Quelles connaissances et quelles consécrations les Minnesänger ( chantres d'amour ) allemands allaient-ils chercher à Aix-en-Provence ? Et le Venusberg où se rend le Minnesänger Tannhäuser ne serait-il pas la Sainte-Baume ? Rappelons que le terme de Berg ne signifie pas seulement « montagne », mais aussi « mine », « caverne », « refuge » ( et c'est ce troisième sens qui a donné Burg).
On ne possède pas de document concret sur la liaison entre la Cour d'Aix et la Sainte-Baume. On n'en possédera sans doute jamais car toute trace concrète d'un culte de Vénus aurait valu le bûcher à ces sectateurs et la destruction de toute possibilité de continuation d'une tradition païenne. Mais il y a des vestiges bien significatifs. Il y a d'abord le fait que le clergé récupérateur de lieux et de cultes païens s'est servi de la consonance entre Magna Luna et Magdalena pour faire de la Sainte-Baume le lieu prétendu du tombeau de la sainte « prostituée » Marie-Madeleine. Au sommet de la montagne, au dessus de la grotte, se trouvait la colonne phallique qui a donné son nom à toute la montagne : le Saint Pilon. Lors du pélerinage « chrétien » de Mai, date qui confirme la récupération d'une fête de l'amour, les filles offrent des œufs colorés à leur élu. Et jusque dans l'entre-deux guerres se sont perpétuées des danses nudistes à la pleine lune de Mai. Il est possible qu'elles se pratiquent encore.
La légende de Maguelone ( Magna Luna ) est aussi bien transparente : sur la plage d'Agde, un aigle ( la Rome impériale catholique ) vole le collier de santal ( bois parfumé et aphrodisiaque ) de la princesse. Son prince poursuit l'aigle en bateau et est drossé par la tempête jusqu'en Égypte où une belle sultane ( Isis ) le console et lui apprend que Maguelone s'est retirée pres d'Aix-en-Provence. Il faudrait être bien obtus pour ne pas reconnaître l'avis à peine voilé que les cultes de la pleine lune ( Magna Luna ) se poursuivent près d'Aix-en-Provence.
Mais ce à quoi l'on ne pense généralement pas, c'est le tournant décisif que représente la naissance de la littérature chevaleresque et galante dans l'histoire européenne. Alors que la femme était traînée dans la boue par le dogme chrétien et par l'acharnement des inquisiteurs, elle retrouvait d'un coup la haute sacralité dont elle jouissait dans les sociétés païennes du Nord de l'Europe. Avec elle, c'est toute l'âme européenne, l'âme des humains de la mer et de la forêt qui était sauvée. Aussi n'est-il pas exagéré de dire que la noblesse wisigothique a remporté une éclatante victoire culturelle à l'époque même où Rome allait réussir son élimination de la scène politique. Le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle verra son importance grandir parallèlement à la montée de la littérature galante. Et ce pèlerinage est placé sous le double signe de la coquille de Vénus ( la coquille Saint-Jacques ) et de la rune eh (ᛘ), en patte d'oie qui est le signe magique de la séduction masculine. Mais cette patte d'oie ( pedocca en dialecte ) est indéchiffrable à qui ignore les runes ; c'est à coup sûr un héritage wisigothique car les Vandales n'ont fait que passer dans la région.
Et nous pouvons maintenant aborder le cœur du mystère : comment ces Wisigoths, fidèles de Vénus, ont-ils pu soutenir le courant cathare, la pire forme du psychisme du désert, dont la doctrine se résume en trois propositions :
1 ) Notre esprit est l'œuvre de Dieu ;
2 ) Notre corps est l'œuvre du démon ;
3 ) Le péché le plus grave est la procréation.
Il y a là un énorme point d'interrogation. Les Wisigoths n'étaient sans doute pas exempts de cette naïveté typiquement germanique. D'autre part, ils avaient pu conserver quelques séquelles d'un passé où ils étaient vassaux des grands rois de Perse. Le catharisme est en effet le point culminant des manichéismes issus de Perse. Ont-ils cédé à l'exotisme sans percevoir l'énormité de la contradiction ? Ce n'est pas absolument impossible. Mais il est bien plus vraisemblable qu'ils aient soutenu le catharisme simplement par hostilité envers Rome, comme ils ont soutenu tous les courants antiromains, notamment le calvinisme. Peut-être même avaient-ils l'arrière-pensée de noyer le christianisme dans sa propre absurdité. Par son refus de la vie, le courant cathare était une arme de choix. Quoi qu'il en soit, nous disposons de deux certitudes : les Wisigoths ont sauvé la femme et l'âme européennes, créé tout le mouvement des chantres d'amour ; d'autre part, le catharisme est la forme la plus virulente des religions du désert, du manichéisme, le parfait contraire des religions païennes.
La colombe cathare avait-elle un double sens : le Saint Esprit pour les chrétiens, l'oiseau de Vénus pour les Wisigoths ? Auquel cas, cette colombe aurait murmuré aux fines oreilles : « Ne vous inquiétez pas ! Les cathares sont d'abominables fous. Mais nous nous battons contre Rome et nous jouons l'adversaire sans dangers contre l'adversaire dangereux. »
En résumé, les histoires des cathares gardiens du Graal sont de la plus grande absurdité. Le Graal est le chaudron magique où bouillonnent les forces créatrices et il a, comme les cloches, une forme d'utérus. Les chantres d'amour sont les serviteurs du Graal, mais non les cathares !
Robert Dun
(Article publié dans la revue VOULOIR, Juillet 1986)
1 commentaire
Voilà qui illustre bien que l'Europe 'Chrétienne' est plus Européenne que Biblique.
Le Graal, à l'origine, n'est-il pas le chaudron du Dieu-Druide Dagda ?
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