21/11/2022
A lire : Regards sur Vladimir Poutine
Publié en juin 2022 par l'éditeur Philippe Hugounenc, ce petit livre d'un peu moins d'une centaine de pages constitue un ouvrage collectif rassemblant les contributions de cinq auteurs européens de profils très distincts et issus d'horizons divers, avec pour fil conducteur une volonté commune d'exposer des visions alternatives à celle dont nous abreuve sans relâche la doxa médiatico-politique occidentale. En ligne de mire, ainsi que le suggère très explicitement son titre, l'action de Vladimir Poutine en Russie de manière générale, mais aussi les tenants et aboutissants du conflit russo-ukrainien en cours, dont les implications vont bien au-delà d'une "simple" querelle entre Etats voisins.
Le texte de Jordi Garriga, intitulé Le Retour du Tsar, fait office d'introduction en évoquant le redressement de la Russie sous l'égide de Poutine, à l'issue du long purgatoire post-soviétique qui avait trop longtemps abandonné le pays entre les griffes d'un libéralisme débridé, lequel l'avait laissé exsangue, de même que les enjeux qui le poussent aujourd'hui à intervenir sur la scène internationale pour y défendre les intérêts vitaux du pays.
Dans Vladimir Poutine et l'empire russe, le très russophile Kris Roman défend avec passion le bilan et l'action du maître du Kremlin, dépeignant des traits de caractère qui le dotent d'une personnalité hors du commun, et présente de façon concise les grandes orientations de sa politique intérieure comme extérieure, non sans mettre un accent tout particulier sur une essence très conservatrice, inhérente selon lui à la morale orthodoxe. Il y voit donc le promoteur et le défenseur des grandes valeurs traditionnelles de la Russie éternelle, perçue comme le bastion de valeurs saines face aux dérives et autres déviances tant politiques que sociétales qui mènent aujourd'hui le monde occidental à sa perte. En cela, la Russie de Poutine constitue donc à ses yeux un modèle de portée universelle, puisqu'elle indique la voie à suivre pour s'opposer à la décadence. Pour sortir du schéma unipolaire des atlantistes, il prône par conséquent la constitution d'un grand axe Paris-Berlin-Moscou, seul à même d'affranchir l'Europe - la vraie, pas celle de l'UE - du carcan mondialiste auquel elle se voit assujettie depuis de nombreuses décennies sous férule états-unienne. Non exempt d'un certain manichéisme assumé - le combat du camp du Bien contre celui du Mal, le texte de Kris Roman se conclut par une alternative sans équivoque : soit ce sera celui des forces lumineuses - celui de Poutine - qui l'emportera, soit ce sera celui des forces obscures, condamnant le monde à subir le cauchemar sans fin d'une tyrannie orwellienne...
Si le troisième texte, intitulé Poutine vu d'Europe et signé Pierre Le Vigan, se veut quant à lui beaucoup plus réservé voire franchement critique à l'égard du président russe, affichant même une certaine méfiance - pour ne pas dire défiance - à l'encontre de ses présumées velléités impérialistes comme d'hypothétiques prétentions hégémoniques russes inavouées (on sent ici poindre les élans à peine réfrénés de préjugés antirusses anachroniques, héritiers directs d'une vieille "tradition" antisoviétique un rien obsolète, toujours très vivace dans certains milieux nationalistes occidentaux), il a en tout cas le mérite d'exposer une vision distanciée des évènements en cours - on ne pourra donc pas lui reprocher de verser dans le panégyrique -, et surtout celui de proposer des solutions équilibrées au conflit russo-ukrainien, en tenant compte de certains faits ethniques comme de la nécessité de préserver les intérêts géopolitiques des uns comme des autres. Après un rappel des grandes dates de l'histoire de l'Ukraine des origines à nos jours, lequel s'avèrera fort utile aux lecteurs désireux d'y voir un peu plus clair, Pierre Le Vigan se livre donc ici à une analyse plutôt pertinente et objective de la situation actuelle, et propose un plan de concertation, la solution passant selon lui par une inévitable partition du territoire ukrainien, respectant les souhaits et les choix de chaque groupe de population en présence qui devra être consulté par voie référendaire. Une proposition qu'à titre personnel, même si je n'adhère pas nécessairement à toutes les vues exprimées par Le Vigan (notamment à celles qui se font un peu trop complaisantes à mon goût vis-à-vis de Kiev), je ne puis en définitive que saluer, puisqu'elle rejoint dans ses grandes lignes la solution que je préconise moi-même depuis le début de la crise. Ce texte m'apparait donc globalement, en dépit des réserves que m'inspirent certains jugements exprimés par l'auteur, particulièrement intéressant.
La quatrième contribution, signée Tony Baillargeat et intitulée Vladimir Poutine ou "Le soupçon d'un Grand Mystère" - tout un programme, est la plus touffue de l'ouvrage, puisqu'elle n'en occupe à elle seule pas moins de trente pages. Changement de ton radical, puisque Poutine, la question russe et la crise actuelle y sont ici vus à travers le prisme du traditionalisme guénonien, sur fond de spéculations ésotériques, de conceptions métaphysiques, de prophéties bibliques et de mysticisme chrétien (orthodoxe), versant dans une sorte de messianisme, et attribuant au combat entre les deux camps en présence une véritable dimension eschatologique. Un texte étrange, pouvant paraître quelque peu obscur et alambiqué à ceux auxquels ce type d'approche semble hermétique - et je dois avouer que tel est mon cas, ni Guénon ni le mysticisme biblique/chrétien n'étant mes tasses de thé - , mais qui apparaîtra toutefois porteur d'espoir à d'autres, tant il exprime une foi ardente en la victoire finale des forces lumineuses sur celles des ténèbres. Heureusement pour moi, la dernière partie du texte, plus rationnel que son début, "s'éclaircit" quelque peu et me "parle" davantage, me paraissant en définitive un peu moins rébarbative que ce qui la précède. Je ne recommanderai toutefois vraiment cette quatrième contribution qu'aux "initiés"... et autres réceptifs.
Enfin, si le cinquième et dernier texte, signé Bernard Fontaine et qui s'intitule quant à lui La géopolitique secrète de Vladimir Poutine, porte lui aussi la marque évidente d'un auteur de sensibilité plutôt guénonienne, à fort penchant ésotérique, il m'est apparu plus terre-à-terre, nettement plus accessible que la contribution précédente. Il est ici davantage question du dessous des cartes, des influences méconnues car plus ou moins cachées de Vladimir Poutine, notamment à travers des personnalités atypiques telles qu'Alexandre Douguine et ses vues eurasistes, ou encore - et surtout - que l'énigmatique Jean Parvulesco, personnage de l'ombre totalement inconnu du grand public (mais déjà évoqué dans le texte de Tony Baillargeat), mais dont le rôle insoupçonné semble avoir été déterminant depuis déjà fort longtemps. Bernard Fontaine nous apprend dans ce texte que, selon lui, un plan secret visant à préserver et à protéger la Russie éternelle est à l'oeuvre depuis des lustres, et qu'il a été préparé avant même la chute de l'URSS, dès le "règne" de Iouri Andropov... au moins. Mais chut, je n'en dirai pas davantage, et laisserai aux lecteurs intrigués le plaisir d'en découvrir plus par eux-mêmes.
Au final, à l'exception du texte de Pierre Le Vigan qui reflète des conceptions plutôt ethnicistes voire identitaires, il s'agit donc là d'un petit livre aux orientions plutôt conservatrices et traditionnalistes dans son ensemble, et dont l'intérêt principal réside surtout dans le fait qu'il offre une tribune à des points de vue que l'on pourrait aujourd'hui légitimement qualifier de dissidents, puisque totalement ("totalitairement" ?) exclus des médias du Système. Ne serait-ce que pour cette raison, il mérite bien de retenir notre attention.
Hans Cany
Regards sur Vladimir Poutine (ouvrage collectif)
Broché – 96 pages – ISBN 978-2-492047-33-6
Philippe Hugounenc Editeur 2022
Disponible directement chez l'éditeur : philippehugounencediteur.com
Egalement disponible via Amazon ainsi que sur le site de la Fnac, le livre peut en outre être commandé en librairie.
05:01 Publié dans Lectures recommandées, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hans cany, poutine, russie, géopolitique et politique internationale, religions, europe | Facebook | | | |
03/11/2022
Des êtres libres, de la Liberté et des esclaves bavards sur la Liberté [par Robert Dun]
Je n'écris pas cet article avec une arrière-pensée de propagande, celle-la étant d'ailleurs superflue dans les milieux libertaires. Je l'écris par reconnaissance et par sentiment de devoir envers des gens qui ont eu assez de liberté et de courage pour envisager mes idées et les publier, même sans les approuver toutes nécessairement.
Ce sentiment de devoir prend racine dans le fait que dans au moins trois livres, des articles et… bien des chuchotements, je figure parmi les « preuves » de l'infiltration du milieu anar par l'extrême-droite. Or je ne suis pas et n'ai jamais été d'extrême-droite, ni de droite, ni du centre. En dehors de toutes les étiquettes, je suis un révolutionnaire, un nietzschéen actif, un ami de tous les esprits libres et honnêtes, quel que soit le point de leur route où ils se trouvent. L'honnêteté, l'honnêteté intellectuelle est mon unique exigence pour dialoguer avec quelqu'un, quelle que soit son étiquette.
Dans le premier article de moi que publia L'Homme libre, fils de la Terre, j'écrivais que la démocratie et la liberté étaient loin d'être identiques, que pour la liberté je ferais plutôt confiance à un aristocrate authentique ou à un despote éclairé qu'à la démocratie. Car la liberté n'est, hélas !, pas la nécessité de tous. Ceux qui en ont besoin sont de la nature de Galilée, de Giordano Bruno, de Montaigne, d'Ulrich von Hutten, de Götz von Berlichingen, de Cyrano de Bergerac, de Voltaire, de Max Stirner, de Nietzsche. Ils sont rares. La masse des moutons ignore la liberté, n'en a pas besoin. Elle la redoute même, car les hommes libres scient les béquilles des croyants incapables de trouver en eux leur propre loi. Quels parents plus ou moins bornés n'ont-ils pas tremblé et pesté devant les velléités de libération de leur progéniture ? Ces parents sont le citoyen moyen de toutes les démocraties, le peuple. Mais les démocraties contemporaines ne sont plus et ne peuvent plus être d'authentiques démocraties et cela pour deux raisons : l'une est la disparition de la réalité de peuple, l'autre de la culture.
La notion de peuple implique une communauté d'instincts, de sensibilité, d'expériences historiques. De nos jours il n'y a plus que des agglomérats disparates dans lesquels tous les peuples, toutes les visions de la vie et de la condition humaine « déblatèrent les uns contre les autres », selon l'expression de Nietzsche dans son chapitre sur le Pays de l'instruction.
Une culture est, par étymologie, ce à quoi on rend un culte, le contrat social spontané entre gens de même éthique instinctuelle. Là où il y a un peuple, il n'y a besoin ni d'État, ni de lois. Les lois chacun les porte en lui-même. Alors, et alors seulement, on peut publier un périodique intitulé l'Anarchie et sous-titré Journal de l'Ordre, car comme l'a écrit Antonin Artaud : « L'anarchiste n'est pas un ennemi de l'ordre ; c'est quelqu'un qui aime tellement l'ordre qu'il n'en supporte pas la caricature ».
Chaque homme aime l'ordre qui correspond à son éthique spontanée. Cela impose de renoncer au mondialisme, de comprendre qu'on ne peut demander à un Africain de culture nocturne imposée par le climat, d'une culture qui lui impose de voler un bœuf sans se faire prendre pour acquérir le droit de demander la main d'une fille, d'accepter notre sensibilité envers le vol. Cela impose d'admettre que là où nous ne voyons que rites absurdes, il peut y avoir des perceptions perdues par nous. L'espèce humaine a sans doute des centaines d'origines différentes et à coup sûr des trajectoires d'évolution très différentes. Les données biologiques géographiquement conditionnées qui donnent un surcroît de garçons ou un surcroît de filles dans les naissances ne peuvent manquer d'aboutir à des sociétés différentes.
Les monastères n'absorbant pas le surnombre de naissances masculines au Tibet, la société est matriarcale et polyandre. Le surnombre de filles en pays musulmans impose la polygamie. Une jeune femme kabyle, ouverte et évoluée, me disait en 1965, alors que je plaidais en faveur de la monogamie pour lutter contre la démographie galopante catastrophique de l'Algérie : « Sur le fond je suis d'accord avec toi, mais que fais-tu des laissées pour compte ? ». Je ne trouvai rien à répondre.
Le respect de l'Homme, c'est primordialement le respect des différences, c'est accepter les différences sans les juger au crible de notre civilisation prétentieuse et malade. Trop des nôtres sont encore prisonniers d'un rail invisible : ils croient que les peuples qui n'adhèrent pas à nos conceptions démocratiques, à notre liberté sans boussole, à notre égalitarisme tous azimuts sont des attardés. S'ils y regardaient de près, ils découvriraient que ces « attardés » ont généralement plusieurs centaines de milliers d'années d'évolution derrière eux, alors que l'homme de Cro-Magnon n'en a guère que quarante mille. En réalité, ce sont des humains de souches totalement différentes. Il y a là des barrières qu'aucun melting-pot n'effacera.
En fait, cette naïve volonté de fusion des incompatibles dans le creuset du nihilisme contemporain n'est que le prolongement de l'hypocrisie colonialiste. Le colonialisme voulait faire de non-Européens des Européens chez eux, l'intégration veut en faire des Européens chez nous. Ceci au nom de la lourde et naïve conviction que nous leur sommes supérieurs et qu'ils doivent devenir nos semblables. Cette prétention « démocratique » n'est que la fille de la prétention chrétienne à une universalité qui a donné l'Inquisition et les conquistadors.
Un borné tire argument du fait que « j'avoue avoir fait partie des Waffen-SS ». Nuance : je ne l'avoue pas, je le dis sans le moindre complexe. Je ne peux guère m'expliquer sur ce point : je tomberais sous le coup de plusieurs lois approuvées par les faux anarchistes. Je me contenterai donc de dire : « J'ai été et je reste un défenseur du droit à toutes les identités, à tous les choix ». On a retiré aux hommes le droit à leur identité raciale, à leur identité culturelle, à leur identité professionnelle ( par la mécanisation ), à leur identité sexuelle ( par l'unisex et la propagande en faveur de l'homosexualité ). On a culpabilisé la joie de vivre par la préférence pathologique ( il est plus facile à un criminel ou à un taré de trouver du travail qu'à une jeune personne saine ). Alors des millions de jeunes se tournent vers les plus dangereuses identités : vers les sectes, les fanatismes religieux.
Qui sont les niveleurs par l'universalisme ? Les exploiteurs qui veulent pouvoir transporter la main-d'œuvre comme du bétail, la crapulocratie des multinationales, les curés de toutes les religions, les curés athées du marxisme dévoyé. Tout cela n'est que trompe l'œil pour des buts inavouables et n'a rien à voir avec la liberté, l'égalité et la fraternité.
La crapulocratie des rivaux-complices a réussi à sa manière un chef d'œuvre : diviser les hommes en défenseurs de valeurs traditionnelles qui coïncident parfois avec les affirmations identitaires, mais reposent sur la royauté orientale de droit divin et sur une religion foncièrement esclavagiste et ennemie de la liberté de pensée, et en défenseurs des « droits de l'homme » qui se prêtent à la destruction de la race dont sont issues ces valeurs généreuses. Oui, les cartes ont été on ne peut plus savamment brouillées.
Alors, de grâce, que les libertaires abusés se ressaisissent, qu'ils balayent la poudre aux yeux clérico-politicarde de la droite et de la gauche et apprennent à juger par eux-mêmes.
Il est plus que temps, il est urgent que tous les amis de la liberté s'unissent pour sauver à travers la liquidation chaotique d'une civilisation mégalomaniaque ce qui fait la dignité de l'Homme, la liberté des hommes qui veulent être libres et sont capables de l'être.
Je sais qu'il y a une majorité d'esclaves-nés, qu'ils sont la vraie cause de l'esclavage. Je les hais parce qu'ils me répugnent ; « Nous supprimons l'esclave parce que nous n'en supportons plus l'aspect » écrivit Nietzsche dans le Gai savoir. Je les hais encore plus parce qu'ils m'engluent dans leur esclavage, parce qu'on ne peut faire une révolution à un contre mille. Mais je ne les hais pas par orgueil. Je ne suis pas un mégalomane parcourant les sommets avec des bottes de sept lieues. J'aime le vrai peuple, les vrais paysans, les hommes de métier heureux tant que le système ne les écrase pas complètement.
Oui, je suis un véritable anarchiste : un anarchiste qui refuse toute loi qui ne correspond pas à sa loi intérieure. Or ma loi intérieure c'est le vieux droit anglais, la très ancienne coutume de Normandie qui a donné naissance à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, version 1789, parce que je suis né dans le mélange des peuples porteurs de cette loi. Ce qui explique d'apparentes contradictions…
Robert DUN
(in L'ANARCHIE, journal de l'Ordre, Juillet 1995)
20:54 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : robert dun, anarchisme, nietzsche | Facebook | | | |